Un briseur de tabous, pionnier d’une innovation majeure pour la santé des femmes
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Tout a commencé par une chaude journée d’été, près de la ville de Coimbatore en Inde du sud. Sidéré d’entendre sa femme déclarer qu’elle doit choisir entre acheter du lait ou des serviettes hygiéniques, Arunachalam Muruganantham, un homme issu d’une famille pauvre, scolarisé seulement jusqu’à l’âge de 14 ans, décide de faire quelque chose. Il veut aller à la racine du problème et comprendre pourquoi les femmes de sa communauté utilisent des chiffons plutôt que des serviettes hygiéniques, des chiffons si sales qu’il ne s’en servirait pas même pour essuyer son scooter. Est-ce une question d’argent ? Ou est-ce dû à un manque d’information sur l’hygiène féminine ? Les deux à la fois. Après avoir fait un sondage rapide dans le village, il découvre que moins d’une femme sur dix utilise des serviettes hygiéniques. Elles sont chères, et donc inabordables pour les femmes. En outre, les femmes ignorent les effets nocifs de ce qu’elles utilisent à la place comme le sable, la sciure, les feuilles, voire la cendre ou la boue.
Dans les campagnes indiennes, les femmes sont encore bien souvent soumises à des restrictions sociales durant leur menstruation : elles sont écartées des tâches domestiques, telles que la cuisine et la collecte de l’eau, et il leur est interdit de participer aux réjouissances et d’entrer dans les temples. Les recherches de Muruganantham lui ont montré que, même sans ces obstacles, les femmes et les filles se rendraient invisibles pendant leurs règles : elles disparaissent de l’école, de la boutique de leurs parents, des réunions panchayat et des centres d’éducation pour adultes car elles ne peuvent pas compter sur leurs moyens de protection « faits maison ».
Pris d’un intérêt grandissant pour son projet visant à permettre aux femmes et aux filles de continuer, pendant leurs règles, à aller à l’école et à accomplir les tâches quotidiennes, Muruganantham invente une machine à fabriquer des serviettes hygiéniques low-cost (à faible coût) – dont il refuse d’ailleurs de vendre le brevet à une entreprise commerciale malgré les sommes énormes proposées. Le chemin pour en arriver là aura été difficile. Au cours de ces longues années de travail ardu, il est presque abandonné par sa femme et sa mère qui trouvent anormal son intérêt intense pour l’anatomie féminine. Il est mis au banc de la communauté et manque de peu d’être chassé de son village. Il risque tout ce qu’il a, non seulement pour améliorer la santé des femmes, mais aussi, allant encore plus loin, pour encourager les femmes à se sortir de la pauvreté. Souhaitant voir les femmes devenir autonomes, il commence à vendre des machines manuelles à des groupes d’entraide gérés par des femmes qui travaillent maintenant comme fabricantes, publicitaires, vendeuses et clientes. Chaque machine emploie dix femmes, dans un pays où le taux de participation des femmes au marché du travail en 2009-2010 était seulement de 29 pour cent, selon les chiffres de l’Organisation internationale du Travail.
Aujourd’hui, le travail de Muruganantham fait l’objet d’une couverture médiatique internationale, de la BBC aux Ted Talks, et son entreprenariat sert d’exemple dans les principales écoles de gestion. Muruganantham choisit de plaider en faveur de l’esprit d’entreprise au niveau local, et diffuse l’idée de l’entreprenariat social, expliquant comment ce modèle peut marcher, souvent plus rapidement qu’une entreprise classique dotée d’un capital. Il démontre également les avantages d’une collaboration avec les associations de femmes pour promouvoir l’éducation de la communauté dans le domaine de la santé et de l’hygiène féminines. Des machines à fabriquer des serviettes hygiéniques ont été installées en Inde dans 26 États, ainsi que dans plusieurs autres pays. Par ailleurs, le travail de Muruganantham a incité un grand nombre d’entrepreneurs à s’engager dans ce domaine longtemps négligé. Certains d’entre eux explorent les possibilités d’utiliser la fibre de banane et de bambou pour fabriquer des serviettes hygiéniques, favorisant ainsi la créativité et la sensibilisation par le biais de l’entreprenariat social.
- Parlez-moi des défis que vous avez rencontrés pendant l’élaboration de votre invention.
Au début, les gens de mon village m’ont pris pour un pervers parce que je devais demander aux femmes leurs serviettes hygiéniques usagées pour mieux comprendre ce qui se passait. Je ne suis pas une femme, et pour comprendre l’expérience qui est la leur, j’ai donc dû me mettre à leur place. Après avoir vainement essayé de persuader ma famille et mes étudiantes de bien vouloir tester mon produit, j’ai finalement décidé de le tester moi-même. J’ai utilisé une « vessie de ballon de football » [en la remplissant de sang animal et en la perçant de trous pour que le sang suinte à l’extérieur] pour tester mon produit. Tout le monde au village m’a pris pour un fou, même ma propre famille. Depuis, ils ont cependant changé d’avis.
- Quel message clé souhaiteriez-vous adresser à la nouvelle génération ? Quels enseignements devrait-elle tirer de votre expérience ?
Il faut que la jeunesse indienne ait foi en l’éducation afin que la société évolue et se transforme en une société inclusive [vu les tabous et les mythes qui se rapportent au cycle menstruel féminin, en Inde]. Vous êtes la force motrice de l’avenir de l’Inde.
- Quel message souhaiteriez-vous adresser à toutes les personnes qui peuvent être inspirées par votre itinéraire et vos accomplissements ?
La femme est le don de dieu à l’humanité. Je dis à toutes les femmes du monde, n’oubliez pas le pouvoir que dieu vous a accordé. Prenez ce pouvoir en mains et ayez foi en vous-mêmes par-dessus tout. Vous [les femmes] êtes le ciment qui lie les gens ensemble ; vous avez le pouvoir d’apporter la paix au monde.