«Autonomisons également notre langue»
Nuria Felipe Soria est spécialiste en communication à ONU Femmes. Elle a été membre de la délégation espagnole à la Conférence de Beijing, où elle assurait la communication et la liaison avec les organisations de la société civile.Date:
Étant une communicatrice et travaillant avec les mots, je souhaite aujourd’hui revendiquer la langue comme outil de changement.

Vingt ans après la Conférence de Beijing, je travaille dans une Entité des Nations Unies qui se consacre à l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Mais ces termes, en 1995, étaient encore tabous, du moins dans les traductions officielles de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing.
Dans le forum d’ONG qui s’est tenu en parallèle à Huairou, les féministes du monde entier, y compris notre délégation espagnole, parlaient d’autonomisation, d’égalité des sexes et de la diversité des femmes, tandis que dans les services de traduction officielle, certaines personnes se refusaient à appeler les choses par leur nom. Aucune trace de ces concepts dans la version espagnole officielle de la Déclaration et du Programme ! Aujourd’hui encore, je n’ai pas trouvé d’explication convaincante sur les raisons pour lesquelles la version anglaise du Programme parle de la Conférence mondiale des femmes au pluriel, alors que la version espagnole officielle parle de la femme, comme si 51 pour cent de la population avait un seul et même visage.
Ce fut l’une des rares épines que nous, la délégation espagnole, avons rapporté avec nous. Les acquis ont été si nombreux à être réaffirmés à Beijing. Mais comment pouvait-on rentrer chez nous avec un texte où ne figurait pas le mot empoderamiento (autonomisation) ? Le mécanisme national pour l’égalité, l’Institut de la Femme pour lequel je travaillais en 1995, a ainsi décidé de rectifier la situation en publiant une version adaptée de la Déclaration et du Programme de Beijing. J’ai eu la satisfaction de coordonner cette révision, que nous avons largement partagée avec la société espagnole. Dans cette version, nous avons utilisé le terme « genre » au sens que lui ont donné la pensée et la recherche féministes, ainsi que des concepts tels que « parité » et, bien sûr, « autonomisation » au lieu du terme limitatif « renforcement du rôle de la femme », qui figurait dans le texte original.
Le pouvoir transformateur de la langue va certainement beaucoup plus loin, et nous, en tant que communicatrices et communicateurs, avons la grande chance de décrire le monde sous d’autres angles. Et c’est là l’une des missions du Programme d’action.
Chaque jour, lorsque j’arrive au travail à ONU Femmes et que je regarde le logo de notre organisme qui nous rappelle ces idées et valeurs pour lesquelles nous nous battons tant, je souris et me dis : « Nous avons bien sûr progressé ». Bravo Beijing!