Sortir des sentiers battus dans les champs de mines

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Nazokat Begmatova FR

Nazokat Begmatova n’a pas eu l’opportunité d’aller à l’université ce qui a diminué ses chances d’obtenir ce que la plupart considérerait comme un « bon travail » dans son pays. Cependant, s’opposant à la pratique commune au Tadjikistan du mariage en fin de scolarité pour alléger les difficultés financières, elle voulait son indépendance financière et un travail bien à elle. Jamais elle n’aurait imaginé, il y a un an, travailler dans  un champ de mines tous les jours, munie d’un équipement de 25 kg et cherchant les mêmes explosifs qui la faisaient cauchemarder auparavant. Elle peut à présent identifier dix différents types de mines à l’œil nu et le champ de mines est devenu, au fil du temps, un terrain familier.

Démineuse humanitaire au sein de la première équipe de déminage entièrement féminine de l’organisation Norwegian People’s Aid (NPA), elle travaille en outre avec les autorités nationales pour assurer la destruction des mines dans les zones les plus minées, héritage des conflits de l’ère soviétique qui a coûté la vie à des milliers de personnes. Il a fallu plus de trois  ans pour former 24 femmes et créer la première équipe féminine de déminage du pays. Au final, seules neuf femmes ont réussi à satisfaire aux exigences du processus de sélection pour former la première équipe de déminage féminine avec la NPA, non seulement au Tadjikistan et en Asie centrale, mais aussi dans l’ensemble de la région post-soviétique.

L’équipe de Begmatova a « libéré » près de 70 000 m² de terrains truffés de mines terrestres. Elle a trouvé et détruit 777 mines antipersonnelles — une contribution considérable aux opérations de déminage menées le long de la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan. Forte de son expérience dans les champs de mines, Begmatova envisage désormais de postuler à un poste de dirigeante d’équipe de déminage dès l’année prochaine. Même l’éventualité de devoir quitter la communauté au sein de laquelle elle a passé toute sa vie ne l’effraie plus, déclare-t-elle. Elle sait qu’elle est sur la bonne voie.

Elle s’exprime ici sur son expérience en tant que femme ayant grandi dans une société où les femmes sont considérées avant tout comme des femmes au foyer. Elle explique aussi comment sa profession actuelle a réussi à changer les perceptions et les mythes au sein de sa communauté.

Quels sont les facteurs les plus importants qui vous ont menée là où vous êtes aujourd’hui ?

La formation initiale dispensée par la NPA a été d’une importance critique pour moi. Heureusement, le fait d’être une femme ne constituait pas un obstacle pour bénéficier de la meilleure préparation nécessaire à mon travail. Au contraire, les formatrices et formateurs et les mentors étaient encore plus motivés à me transmettre leur expertise dans le domaine. Cela ne tenait qu’à moi et à mon désir d’apprendre et d’étudier davantage sur les mines. Une fois ma formation commencée, je ne pouvais tout simplement pas regarder derrière moi. Je ne pouvais accepter aucun obstacle. J’imagine que c’est mon inspiration à réaliser quelque chose en tant que femme qui m’a menée où je suis aujourd’hui.

Quels sont les principaux obstacles qui vous ont freinée ?

La difficulté de ce travail provient, peut-être, de l’exigence des conditions physiques : les températures élevées en été pouvant atteindre 40 à 45° C, le soleil brûlant et la poussière. Je dois porter un équipement de 25 kg tous les jours : un casque, un gilet de sécurité et des détecteurs. Par ailleurs, la pression psychologique est intense dans ce travail. Nous devons suivre des règles très strictes. Je dois rester très concentrée, et ce, de manière constante car chaque erreur professionnelle pourrait être fatale. Et bien sûr, j’ai peur. Cependant, il faut que j’éprouve un certain degré de peur pour faire du mieux que je peux.

Parlez-nous de votre enfance, vos ambitions et de qui vous a inspirée ou influenceé...

Mon frère m’a toujours beaucoup soutenue. Il m’a toujours conseillée de suivre ma voie même si elle allait contre des normes sociales et qu’elle n’était pas considérée comme une voie typique pour une femme. Maintenant je sais que nous [les femmes] devons être meilleures que les hommes. Nous devons toujours faire mieux que les hommes. S’ils réussissent quelque chose, cela signifie que nous, les femmes, pouvons également le faire, parce que nous sommes égaux.

Votre condition de femme a-t-elle influencé votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?

J’ai entendu des rumeurs venant de certains de mes collègues masculins qui disaient que les femmes ne pouvaient pas occuper un poste aussi difficile. Ils attendaient que nous fassions un faux pas. Mais, cela n’est pas arrivé et ils n’avaient dès lors aucune raison d’être négatifs. Aujourd’hui, les femmes doivent être plus fortes que les hommes, et elles le sont. Je n’ai jamais pensé un instant que je ne pouvais pas exécuter mon travail parce que j’étais une femme.

Comment décririez-vous votre expérience en tant que l’une des quelques femmes travaillant dans le déminage, un domaine majoritairement masculin ?

Je suis fière de moi. Quand on me demande ce que je fais, je suis fière de l’expliquer. Maintenant, quand je reviens du travail, on me regarde avec respect. Cela n’a pas été facile à obtenir. Grâce à mon travail, j’ai réussi à changer les attitudes qui existaient à l’égard des femmes qui possédaient un travail atypique pour leur sexe.

Quelle est à votre sens la contribution majeure que vous avez apportée à la société ou à la communauté ?

L’idée que les femmes appartiennent au foyer, qu’elles s’occupent des enfants et que les hommes aillent travailler et possèdent des postes à responsabilités a changé. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes femmes, même les femmes mariées, les mères de famille ou même les grand-mères, me demandent comment elles peuvent suivre mon exemple. L’aspect positif, c’est que certaines personnes considèrent mon travail comme quelque chose de normal. Certains maris, dont l’épouse travaille, commencent même à s’occuper de la maison et de leur femme lorsqu’elle rentre du travail.

Quand je trouve une mine, je suis heureuse. Je suis heureuse parce que je sais qu’à ce moment précis je viens probablement de sauver la vie de quelqu’un. J’ai apporté ma contribution à la société.

Quel message souhaitez-vous adresser aux femmes et aux filles qui pourraient être inspirées par votre parcours et votre réussite ?

Elles doivent être actives. Elles ne doivent pas abandonner mais aller de l’avant. Le travail vous donne la chance de devenir indépendante et de vivre votre liberté personnelle.

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